Épisode 18
Dany Laferrière (2/3)
Enregistrement
octobre 2020
Entretien, découpage
Richard Gaitet
Prise de son, montage
Sara Monimart
Lectures
Arnaud Forest, Richard Gaitet, Samuel Hirsch, Annabelle Martella, Emilie Mendy
Réalisation, musique originale et mixage
Samuel Hirsch
Trompette
Vincent Défossé
Illustration
Sylvain Cabot
Production
ARTE Radio
Bookmakers #6 - L’écrivain du mois : Dany Laferrière
Né en 1953 à Port-au-Prince (Haïti), élu en 2013 à l'Académie Française, Dany Laferrière est l'auteur savoureux d'un vaste cycle autobiographique de trente-deux ouvrages, parmi lesquels « Comment faire avec l'amour avec un Nègre sans se fatiguer » (1985), « Vers le Sud » (2006) ou « L'Enigme du retour » (2009), complété aujourd'hui par des ouvrages entièrement écrits et dessinés à la main, dont le titre du dernier, publié cette année, dit beaucoup sur sa vie : « L'Exil vaut le voyage ».
En partenariat avec Babelio
(3/3) Revers de Sud
« J’écris dans mon lit, je lis dans mon bain : je suis un homme horizontal. » Mais ce « spécialiste mondial de la sieste », comme dit parfois Dany Laferrière en parlant de lui-même, travaille tout de même beaucoup. En 1990, cinq ans après la sortie de son sulfureux premier ouvrage, l’écrivain quitte Montréal pour Miami, en famille. Aux Etats-Unis, il écrit dix romans en douze ans, dont le fameux cycle haïtien, l’ossature de son œuvre : « L’Odeur du café » (1991), « Le Goût des jeunes filles » (1992), « Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? » (1993), « Pays sans chapeau » (1996), « La Chair du maître (1997), « Le Charme des après-midi sans fin » (1997), « Le Cri des oiseaux fous » (2000)…
Puis Dany Laferrière est saisi d’une sorte de « fatigue », qui l’empêche d’envisager de nouveaux récits. C’est là qu’il accomplit un geste extrêmement rare, désarçonnant les critiques et les universitaires : il réécrit six de ses romans, augmentés parfois de 150 pages, aménageant des passerelles entre les livres pour découvrir qu’il s’agit en fait d’un seul et même bouquin : son « autobiographie américaine » qui lie le cycle nord-américain et le cycle haïtien. « J’ajoute, j’élimine, je touche au style, aucun scrupule. »
En 2009, pourtant, l’inspiration lui revient de la plus bouleversante des manières. Son livre « L’Enigme du retour » s’ouvre sur l’annonce de la mort de son père, contraint à l’exil depuis près d’un demi-siècle du fait de son opposition au régime de Papa Doc. Dany rentre donc au pays pour annoncer à son tour cette nouvelle à sa mère. Dans le carnet noir qui ne le quitte jamais, il note alors « tout ce qui bouge », scène de marché, sommeil d’homme ou mouvement d'insecte, en traversant son île « à la recherche d’une sérénité ». Publié aux éditions Grasset, traduit dans huit langues, ce magnifique roman de deuil et de transmission sous « crépuscule rose », au rythme poétique inouï, d’une simplicité de vieux maître dont « la mémoire se dégèle », s’écoule à 70 000 exemplaires et décroche le prestigieux prix Médicis. Ce retour en grâce l’encourage à s’installer à Paris et, plus tard, à postuler à l’Académie Française. L’audace est payante : en janvier 2013, le petit rêveur de Petit-Goâve devient le « collègue de Voltaire et de Montesquieu » et l’auteur de « Vers le Sud » entre sous la Coupole avec une divinité vaudou sculptée sur son épée, Legba, « celui qui ouvre la barrière pour passer du monde visible au monde invisible. En somme, le dieu des écrivains ».